Lettre à Monsieur Milan Kundera.

Lettre à Monsieur Milan Kundera.

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Monsieur,
Ecrire à une personne qui ne la lira pas est toujours un exercice périlleux, une sorte d'introspection, de monologue intérieur déguisé. Depuis le début la communication entre nous est biaisée : d'habitude, c'est vous qui me parlez à travers vos livres. A mon tour de vous adresser ces modestes lignes.
Je me souviens de la première fois où j'ai tenu l'un de vos livres entre mes mains. J'avais à l'époque 30 ans, j'avais un métier qui n’avait rien à voir avec la littérature, mais j’aimais beaucoup lire. J’avais entendu cité votre nom : je ne savais pas alors qu'une véritable histoire d’amitié verrait bientôt le jour. 
Je me souviens encore de la première fois où vos mots m'ont percuté. J'étais dans mon salon chez moi à Belfort. J'avais « L'Insoutenable légèreté de l'être » sur mes genoux. Comme il est étrange, presque trente ans après, de savoir quelle était ma place dans ce fauteuil, mais surtout d'avoir la nette sensation d'avoir encore au creux de mon ventre ce fourmillement de joie au moment de la lecture des premières pages. J'étais tel un archéologue qui venait de faire la plus belle des découvertes : sous mes yeux se déroulaient des mots qui faisaient écho en moi, et ce vrombissement des sens ne s'est jamais calmé par la suite.
Je me souviens alors d'être tombée en arrêt dans ce fauteuil. Après la lecture du premier chapitre, je savais que je tenais là un livre qui allait encore me faire grandir. Je n'attendais plus que lui pour me poser les bonnes questions sur mon existence.
« L'Insoutenable légèreté de l'être » m'a changé à jamais. Une fois refermé, je n'ai jamais plus été le même.
Parfois un coup de cœur se révèle être un feu de paille. Sitôt allumé, sitôt embrasé, sitôt éteint. Ma fidélité pour vous ne s'est jamais démenti. J'ai alors cherché à en savoir plus sur l'auteur qui était devenu mon fer de lance et il fallait que je susse quel était l'homme derrière ce grand chambardement.
Des sources me disaient que vous aviez enseigné à Rennes puis à Paris. Cette relative proximité géographique m'enivrait, même si je savais bien que jamais je ne vous parlerais. Pour vous dire quoi ? Pour évoquer vos livres, ou encore l'émotion qu'ils dégagent ? De cette vision de la vie que je ne cesserai jamais de vouloir atteindre ? De ce bouleversement dont vous fûtes à l'origine ?
Non, je suis et je resterai un homme de l'ombre.
Aujourd'hui encore cet attrait ne s'est pas démenti : j'attends vos publications, je frémis quand enfin je tiens votre dernier roman entre mes mains, et je redeviens pour quelques minutes ce jeune homme de l’année 84, chargé de rêves et d’espoirs, le cœur encore tout chamboulé.
Je n'ai aucune requête à vous formuler, de quel droit oserais-je ? Mais comme pour un proche, j'attendrai inlassablement de vos nouvelles, ou plutôt votre prochaine publication.
Cordialement vôtre.

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Qui est Milan Kundera ?

Milan Kundera (né le 1er avril 1929 à Brno, alors en Tchécoslovaquie) est un écrivain de langues tchèque et française. Il a obtenu la nationalité française le 1er juillet 19811.
Il a reçu le prix Médicis étranger en 1973 (pour son roman La vie est ailleurs), le Prix de Jérusalem en 1985, le Prix Aujourd'hui en 1993 (pour son essai Les Testaments trahis), le Prix Herder en 2000, le Grand prix de littérature de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre en 2001 et le Prix mondial Cino Del Duca en 2009. Son nom a été fréquemment cité sur les listes du Prix Nobel de littérature.
Il grandit dans un milieu où l'art et la culture sont prépondérants. Son père Ludvík Kundera (1891-1971), célèbre musicologue et pianiste tchèque, recteur de l'académie de musique de Brno lui apprend très tôt le piano. Il met à profit cet apprentissage lorsque, exclu du parti communiste tchécoslovaque, il doit vivre de petits boulots, notamment comme pianiste de jazz. La musique influence son œuvre et sa vie, mais pas seulement : son cousin Ludvík Kundera par exemple est un poète célèbre.
Déçu par le communisme, il développe dans La Plaisanterie (1967) un thème majeur de ses écrits : il est impossible de comprendre et contrôler la réalité. C'est dans l'atmosphère de liberté du Printemps de Prague qu'il écrit Risibles amours (1968) ; ces deux œuvres sont vues comme des messagers de l'anti-totalitarisme.
L'invasion soviétique en 1968 met fin à cette période de liberté d'expression des médias et plonge le pays dans le néo-stalinisme. Cette atmosphère resta inchangée jusqu'à la chute du communisme en Tchécoslovaquie en 1989. Kundera perd son poste d'enseignant à l'Institut cinématographique de Prague et ses livres sont retirés des librairies et des bibliothèques.
La vie est ailleurs est une forme de catharsis pour Kundera, il se confronte à son passé de communiste, sa place en tant qu'artiste… et il s'en libère.
Période française.
En 1975, il quitte, avec sa femme Véra, la Tchécoslovaquie pour la France où il enseigne d'abord à l'université de Rennes 2 et par la suite à l'École des hautes études en sciences sociales à Paris. La nationalité tchécoslovaque lui a été retirée en 1979 ; deux ans plus tard, l'une des premières décisions du président François Mitterrand fut de lui octroyer la nationalité française, en même temps qu'à Julio Cortazar.
La langue française maîtrisée, Kundera se lance dans la correction des traductions de ses livres. Dans La Plaisanterie, note de l'auteur, il explique l'importance et la raison qui le poussent à réagir de cette manière :
« Un jour, en 1979, Alain Finkielkraut m'a longuement interviewé pour le Corriere della sera : « Votre style, fleuri et baroque dans La Plaisanterie, est devenu dépouillé et limpide dans vos livres suivants. Pourquoi ce changement ? »
Quoi ? Mon style fleuri et baroque ? Ainsi ai-je lu pour la première fois la version française de La Plaisanterie. (Jusqu'alors je n'avais pas l'habitude de lire et de contrôler mes traductions ; aujourd'hui, hélas, je consacre à cette activité sisyphesque presque plus de temps qu'à l'écriture elle-même.)
C'est en 1978 qu'il s'installe à Paris. Il termine L'Insoutenable Légèreté de l'être en 1982 (publiée en 1984), son roman le plus connu. La sortie du film, réalisé par Philip Kaufman en 1988, y est sans doute pour quelque chose.
Dans L'Insoutenable Légèreté de l'être, l'auteur étudie le mythe nietzschéen de l'éternel retour. Il se concentre sur le fait que l'Homme ne vit qu'une fois, sa vie ne se répète pas et donc il ne peut corriger ses erreurs. Et puisque la vie est unique, l'homme préfère la vivre dans la légèreté, dans un manque absolu de responsabilités. Il introduit aussi sa définition du kitsch, c’est-à-dire ce qui nie les côtés laids de la vie et n'accepte pas la mort : « Le kitsch est la négation de la merde » (il s'agit en somme de toute idéologie : kitsch catholique, protestant, juif, communiste, fasciste, démocratique, féministe, européen, américain, national, international, etc.).
L'Immortalité est publiée en 1990.
En 1993, Milan Kundera termine son premier roman écrit en français, La Lenteur (publié en 1995).
L'Identité (achevé en 1995, publié en 1998) est le deuxième roman que Kundera écrit directement en français. Tout comme La Lenteur.
L'Ignorance (publié d'abord en espagnol en 2000, en français en 2003) : 
Depuis 1985 Kundera n'accorde plus d'entretiens, mais accepte de répondre par écrit. Toute information à propos de sa vie privée est scrupuleusement contrôlée par lui. Sa biographie officielle dans les éditions françaises se résume à deux phrases :
« Milan Kundera est né en Tchécoslovaquie. En 1975, il s'installe en France »
En mars 2011, son Œuvre (au singulier), en deux volumes, entre au catalogue de la Bibliothèque de la Pléiade. Il rejoint ainsi la liste des très rares auteurs à être publiés de leur vivant dans la prestigieuse collection des éditions Gallimard.