Je veux un héros.

 

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« Mesdames et messieurs, bonsoir, merci de nous avoir rejoint sur votre journal du vingt heures. Voici les titres de l’actualité : - C’est désormais officiel, Jason a trompé sa compagne, Manuela, au bout du troisième jour sur l’Ile de la Déraison, trois adolescentes se suicident après l’échec de Tommy de la Star Lobotomie. Le Président de la République change une nouvelle fois de conseiller en communication. Ce dernier travaille actuellement sur un one man show, et a adopté un nouveau look, plus branché. De la vache folle dans les raviolis, c’est ce qu’à révélé un contrôle sanitaire auprès du leader français du marché des pâtes, mais selon ce dernier, aucun risque n’est à craindre pour le consommateur. Nouvelle fuite d’uranium sur la centrale nucléaire de Tricastin, là encore, malgré les quelques centaines de poissons retrouvés morts autour du site, le responsable affirme qu’il n’y a aucun danger pour l’homme. Quatre cent morts, c’est le lourd bilan d’un attentat à la bombe à Calcutta en Inde : Pour Al Quaïda tapez un, pour E.T.A tapez deux, pour Action Directe tapez trois. Tous ces titres vous seront développés à vingt deux heures après une courte page de publicité »…
En fait, je suis amoureux du passé, de ces instants perdus, où la jeunesse permettait tous les rêves. A l’époque, pourtant, l’avenir ressemblait à un saut d’obstacles sans mode d’emploi, dont je ne voyais pas la fin. Malgré cet angoissant brouillard, si j’avais pu, j’aurais volontiers accéléré le temps pour prendre mon envol, pour voir la tête de celle qui m’accompagnerait , pour vivre la folle aventure de l’âge adulte. A l’heure où, la tête plongée dans les magazines, je fantasmais sur d’inaccessibles icônes de la Pop, où la vie se résumait à préparer des examens et à échafauder des plans pour sortir avec les pré-pubères de nos rêves. Le monde m’appartenait. Je n’en avait pas encore découvert la noirceur. Enveloppés d’un drap de candeur, je n’avais pas décortiqué le machiavélisme du monde environnant, qui débute dans les salles de classe et galope tout autour du globe. L’aventure humaine c’est plutôt violent parfois.
Je promène mon corps affamé d’imprévu, je ne sais pas où je vais, je crois que je n’ai jamais vraiment su où je voulais aller d’ailleurs. Un vague idéal m’appelle et je le trahis sans cesse.
Je voudrais militer, gueuler contre la guerre, m’époumoner contre l’indifférence, mais c’est comme dans un mauvais rêve, pas un son ne sort de ma bouche. Paresse, lassitude, éparpillement, manque de courage, un peu tout ça à a fois sans doute …
Alors je vis avec ma charmante compagne dans son si beau Pays et je râle dans les conversations. Je peste contre cette humanité de « merde » qui se targue d’être au-dessus des animaux.
Mais je ne fais rien.
J’écris quelques textes, histoire de laisser des traces, comme la marque du café sur la nappe, mais je suis d’un immobilisme édifiant. Un koala au fond du garage, qui roupille au milieu du gourbi, voilà ce que j’ai l’impression d’être.
Je souffre vraiment d’imaginer les bleus de ces pauvres gosses martyrs, l’estomac creux de mes frères et sœurs de planète, le bruit des bombes qui crèvent les tympans, mais je ne suis même pas les cortèges à banderoles.
Les rockeurs gueulent pour moi, ils transpirent mon exacerbation, ils se roulent de colère sur la scène publique. Pourtant, comment végéter quand on sait qu’une partie des hommes se caressent à la machette ?
Une grande gueule, rien d’autre, comme tous ces soixante-huitards, coincés entre le pavé et l’enclume, bouffant du soufflé au fromage ratatiné.
La bataille, c’est pour les autres. J’ai pourtant failli en profiter. Les belles idées se sont fait la malle, il reste les images.
Le derrière vissé sur mon canapé, je regarde mon monde s’écrouler doucement, l’œil bovin. Depuis la révolution, on nous a tellement mâché le travail qu’on ne voit pas pourquoi on lèverait nos petits culs pour aller changer les choses.
On n’accepte tout, on gobe la pilule sans broncher. Bouffer n’importe quoi, vivre pour acheter, acheter, acheter encore, et trouver ça normal. D’ailleurs ne plus pouvoir acheter déclenche une déprime nationale, comme si c’était une fin en soi, plus importante que l’amour, plus importante que tout le reste. Elevés aux radiations de Tchernobyl, à la vache folle, aux soldes, à la prime de fin d’année. On croit que toutes les injustices, tous les grands scandales vont être percés à jour tellement c’est énorme, mais plus c’est énorme, plus ça passe. 
Et pendant ce temps, je compte le nombre de carreaux sur mes charentaises, la télé en toile de fond, avec ses propagandes et ses émissions débiles.
Les moutons de Panurge, Hans le joueur de flûte, je suis en plein dedans, tantôt ovins, tantôt rats, mais, je dors tout de même sur mes deux oreilles.
Quand y aura-t-il un héros courageux pour me sortir de là ?

 

LC