Dis-moi, Nicolas, c'est quoi un voilier ?

Dis-moi, Nicolas, c’est quoi un voilier ?

Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, pourtant originaire de l'est de la France, je me targuais jusqu'à ce matin de reconnaître un voilier d'un bateau à moteur. Au cours de ma jeunesse, il me semblait, sur la Saône, voir évoluer ce genre d'embarcation au gré des vents. Privilégié, j'en conviens, j'ai eu la chance de jouir de vacances au bord de la mer (tant sur la Grande Bleue que sur l'Atlantique), où je pensais naïvement voir naviguer de magnifiques voiliers.

Mais que lui arrive-t-il encore ? Quelle mouche l'a encore piqué ? Voilà ce que vous pensez, n'est-ce pas ? Eh bien, ce matin, comme d'habitude en ouvrant ma messagerie, le Journal Officiel est arrivé. Oui, je suis abonné au J.O., d'abord il est gratuit puis ça permet de vérifier que nos gouvernants et élus s'occupent d'une foule de trucs mais aussi de se tenir un peu au fait des nouvelles lois. Car en bon citoyen, vous n'êtes pas sans savoir que « nul n'est censé ignorer la loi » !

Toujours est-il que ce matin, après avoir survolé rapidement les différentes rubriques, j'ai voulu rechercher (allez savoir pourquoi ?), un décret de nomination d'octobre 2007. Bon allez, je vous éclaire un peu, je recherche seulement un ami. Et là, par hasard, je découvre un document, émanant du ministère de l'Ecologie, du Développement de l'Aménagement durables (je m'en voudrais d'oublier un seul mot). Quel est l'objet de ce document ? Un « arrêté du 28 septembre 2007, relatif au permis de conduire des bateaux de plaisances à moteur, à l'agrément des établissements de formation à la délivrance des autorisations d'enseigner ». Sic...

J'étais pas au bout de mes surprises, au titre IV de cet arrêté se niche l'article 16, qui lui, définit très précisément ce qu'est un voilier. Voilà une information intéressante qui aiguise ma curiosité. Car on ne dira jamais assez qu'un bateau à moteur n'est pas un voilier. Et vice versa.

Et pour éviter tout risque de confusion, le ministre d'Etat, ministre de l'Ecologie, du Développement et de l'Aménagement durables, (je n'ai rien oublié ?), a donc élaboré la définition officielle, pour ainsi dire ontologique, du voilier. Et laissez-moi vous dire que, quand un responsable politique s'attaque au voilier, c'est du sérieux, c'est du costaud. Vous êtes prêts ? Alors jugez vous-même, on y va.

« Sont considérés comme voilier les navires dont la propulsion principale est vélique, à condition que as 0,07 (m LDC) 2/3, mLDC étant la masse du navire en condition de charge, exprimée en kilogrammes et as, exprimée en mètres carrés, étant la surface de voilure projetée, calculée comme la somme des surfaces projetées en profil de toutes les voiles qui peuvent être établies lorsque le navire au près, sur des bômes, cornes, bout-dehors, queues-de-malet ou autres espars, et de la surface du ou des triangles avant, jusqu'à l'étai le plus avancé, fixé de manière permanente pendant le fonctionnement du bateau au mât portant les voiles établies, sans recouvrement, en supposant que les drailles et les chutes sont des lignes droites. La surface du triangle avant de chaque mât doit être celle donnée par IJ/2, où I et J sont les mesurages entre la face avant du mât, l'extrémité arrière de l'étai et la ligne de livet au droit du mât. La surface des espars n'est pas incluse dans le calcul de la surface de voilure projetée, à l'exception des mâts-ailes. » Re-Sic...

Je vous autorise à sortir prendre l'air pendant quelques minutes. Respirez un bon coup. Ça va ? Vous pouvez maintenant reprendre posément, tranquillement la lecture de ce morceau de bravoure. Je suis certain, que tout comme moi, vous n'en revenez pas. Vous pensiez bêtement, comme moi, qu'un voilier était un bateau à voiles. Vous avez maintenant la preuve que non. Personnellement, je n'ai ni voilier ni bateau à moteur, et à part le choc provoqué par ce galimatias, ça ne me bouleverse pas outre mesure. Mais je me mets à la place de l'heureux propriétaire d'un voilier. J'imagine sa perplexité. Pis : son désarroi. Pis encore : son angoisse. Il croyait en toute bonne foi, que son voilier était bien un voilier. Et voilà qu'il n'en est plus sûr du tout. Voilà qu'il se demande s'il ne navigue pas sur un ersatz de voilier, une contrefaçon de voilier. Est-il sûr que As 0,07 (m LDC) 2/3 ? A-t-il bien calculé la somme des surfaces projetées en profil de toutes les voiles ? Et la surface du ou des triangles avant, jusqu'à l'étai le plus avancé ? A-t-il vérifié que les drailles et les chutes étaient des lignes droites ? A-t-il demandé leur avis aux bômes, cornes, bout-dehors, queues-de-malet et autres espars ? A-t-il mesuré la surface du triangle avant de chaque mât de façon qu'elle soit donnée par IJ/2 (et pas par quelqu'un d'autre) ? Parce que, sinon, il va falloir qu'il se rende à l'évidence : contrairement à ce qu'il s'imaginait, il navigue en réalité sur un pédalo. A voile peut-être. Mais un pédalo. Les faits sont là (et ils sont têtus) : tant qu'il n'aura pas fait le mesurage adéquat de l'extrémité arrière de l'étai et de la ligne de livet au droit du mât, il ne sera qu'un misérable imposteur...

Et d'ailleurs, est-il bien sûr de toujours naviguer sur l'eau ? Je n'ai pas encore lu la définition scientifique de l'eau, établie par les services du ministère de l'Ecologie, etc..., mais à mon avis elle réserve des surprises. Il doit falloir multiplier la surface par le volume, diviser le résultat par la vitesse du vent et l'âge du capitaine, pondérer par la profondeur estimée, prélever des échantillons, évaluer la température par temps sec, appliquer le coefficient réducteur de traçabilité par rapport au développement de la durabilité. Et c'est ainsi qu'on découvre qu'en réalité on fait du pédalo sur du beurre. Ou du gruyère râpé. Alors qu'on se croit en pleine mer...

J'espère en tout cas que le ministre d'Etat, ministre de l'Ecologie, du etc..., mais aussi tous les autres ministres ont prévu, suite aux révélations et élaborations de lois, une assistance psychologique à tous les navigateurs à voiles et autres citoyens. Ils doivent savoir que, dans le cas contraire, ils doivent s'attendre à un gigantesque suicide collectif de personnes ayant tout simplement voulu ne pas ignorer la LOI...

 

LC