Eh bien voilà ! L’hiver arrive…

Eh bien voilà ! L’hiver arrive…

Bon, c’est vrai que ce n’est pas terrible, ces temps-ci. Le climat, l’ambiance, le fond de l’air : non, vraiment pas terrible. Obama en mauvaise posture, l’extrême droite qui cartonne un peu partout, la bêtise à front de taureau qui triomphe, Berlusconi plus Berlusconi que jamais, la droite française qui limite l’accès à l’aide médicale d’Etat, qui trie, qui classe, qui chasse, qui déchoit, qui remanie, mes amis qui partent en Afghânistân les uns après les autres… Oui, le fond de l’air est froid. On va vers l’hiver. Voilà pourquoi il faut profiter, vite et bien, du cadeau de l’automne : les feuilles jaunes, les feuilles rouges, les arbres plus beaux que jamais, un vrai feu d’artifice. Il faut en profiter parce que, comme nous le savons tous, hélas, ça ne va pas durer. Si ça se trouve, à l’heure où vous lirez ces lignes, soit une à deux heures après qu’elles ont été écrites, ce sera déjà le commencement de la fin : la chute des feuilles. Avant l’inéluctable : le ramassage des feuilles. Mortes, les feuilles. Il faut bien reconnaître : l’automne, c’est nul. C’est nul parce que ça n’a qu’un seul but : dépouiller les arbres de leurs feuilles. Faire tomber les feuilles. Faire mourir les feuilles. Dans la pluie, dans le vent, dans le brouillard, dans le froid. Jusqu’à ce qu’arrive l’hiver.

Voilà bien la véritable fonction de l’automne : préparer le terrain à l’hiver. C’est nul de chez nul. C’est moche de chez moche. C’est déprimant. Sauf qu’il y a un moment où l’automne est magique, où l’automne est magnifique. Ce moment, nous y sommes. C’est maintenant. Quelques jours de pure splendeur, pour nous donner le courage de supporter le reste de l’automne. Et l’hiver derrière. Ce sont des moments qu’il ne faut surtout pas manquer. Comme il ne faut surtout pas manquer l’explosion du printemps, les toutes premières feuilles qui se déplient délicatement au bout des branches, fragiles, timides, incroyablement émouvantes : si on manque ces moments-là, on ne s’en remet jamais. Parce que c’est comme la naissance du monde. Les quelques jours de pure magie de l’automne, c’est exactement la même chose. Il ne faut surtout pas passer à côté, se réveiller un beau matin avec les branches toutes nues, toutes noires, les feuilles par terre, les feuilles défuntes, sans avoir profité du cadeau de leur beauté. Parce que, après, c’est fini, c’est l’hiver. Et c’est tellement long, l’hiver, qu’on a besoin d’avoir au fond des yeux des images d’or et de feux pour tenir le coup. Jusqu’au printemps. Jusqu’au retour des feuilles.

Sinon, qu’est-ce qu’on a à l’horizon, pour allumer l’hiver ? Les illuminations de Noël, les ampoules, les étoiles, les Père Noël et les traîneaux qui brillent, qui clignotent et scintillent dans la nuit pour nous réchauffer. Entre la chute des feuilles et les illuminations de Noël : rien, que la nuit noire et les jours qui raccourcissent, et la nuit noire qui gagne. Voilà pourquoi il faut faire des provisions de couleurs. Bon, les illuminations de Noël, il y a du pour et du contre. Plus elles arrivent tôt, plus elles s’en vont tard, plus c’est déprimant. Vous n’êtes pas d’accord ? Même si on a besoin de lumières pour tenir le coup, les illuminations de Noël qui débarquent dès la mi-novembre, ça me déprime. Et les voir toujours suspendues en l’air après la mi-janvier, ça me déprime encore plus. Ne me demandez pas pourquoi : c’est comme ça. C’est exactement comme quand j’écoute les déclarations de notre moins hyper-président. Bon revenons à nos moutons. Les illuminations : le pire, c’est quand on traverse des villages, des petites villes, en plein été et que les guirlandes sont toujours là, pendouillant tristement au soleil. Elles datent du Noël d’avant et elles vont durer jusqu’au Noël d’après. Sans doute les a-t-on laissées là parce que c’est moins fatiguant : on n’a ni à les décrocher ni à les raccrocher. C’est peut-être moins fatiguant, mais moi, ça me déprime complètement. Alors qu’au creux de l’hiver, juste avant Noël et juste après Noël, ça fait un bien fou, les guirlandes, les étoiles, les illuminations qui brillent dans la nuit, qui réchauffent dans le noir.

Bon, on n’est pas forcé d’aimer Noël, les Père Noël qui suent sous leur bonnet, les chants de Noël qui se déversent jusqu’à plus soif de tous les magasins, la course hystérique aux cadeaux de Noël, toute cette frénésie écœurante d’huître, de fois gras et de dindes aux marrons qui feraient détester Noël. Mais les petites lumières de Noël, dans la nuit, dans le froid, dans le noir, ça donne du courage. Ça aide à tenir. Parce qu’on a besoin de lumière, en plein cœur de l’hiver. Enfin, je dis ça, c’est juste pour me donner le moral, très égoïstement et ce d’autant que j’adore les huîtres et le foie gras. Mais, je pense aux feuilles mortes, aux arbres tout nus, aux arbres tout noirs, ça me démoralise rien que d’y penser. Et aux jours qui raccourcissent, la nuit qui tombe dès cinq heures du soir et même avant, c’est tellement injuste, on n’a rien fait pour mériter ça. Alors je regarde les feuilles rouges et jaunes tant qu’il y en a, tant qu’elles sont là, et je m’accroche aux lumières de Noël qui, dans un mois, un mois et demi, viendront trouer la nuit.

Maintenant, ce qui serait bien, c’est qu’il y ait des bonnes nouvelles, pour changer. Pas juste des nouvelles moches comme des feuilles mortes, comme des arbres morts, comme de la nuit morte. On en a un peu marre, de ces nouvelles-là. On se dit qu’on a tout de même droit à autre chose. On n’est pas fait pour l’hiver sans fin, un long hiver de givre, de gel et de noir. Les feuilles qui éclaboussent le ciel de l’automne, le ciel gris, le ciel bas de l’automne, on les regarde comme une promesse. Parce qu’on a envie d’y croire. Malgré tout, contre tout.

 

LC