J'ai aussi un chat et j'existe !

21 juin 2009

J'ai aussi un chat et j'existe !

J'ai sous les yeux une pub, disons pour le moins étrange. On voit une forêt. Dans la forêt, une route forestière. Sur la route forestière, une belle voiture. Assise sur le capot de la belle voiture, une jeune fille. Couché à côté de la jeune fille, un chien. Et voici le texte : « En forêt de Fontainebleau. Le coupé, la jeune fille et son chien ; tous les deux rentrent de quarante minutes de footing. » Les deux, je suppose, sont la jeune fille et son chien. Je vois mal la voiture faire du footing. Suit un dialogue entre « la joggeuse » et le « coupé ». Je vous fais grâce de ce dialogue. Il n'est pas utile à ma démonstration. Moi, ce que je vois, c'est qu'il y a trois personnages sur la photo. Et que seulement deux ont la parole. Et le chien, il compte pour du beurre ? Le chien n'a rien à dire ? Il vient de se taper quarante minutes de footing avec sa maîtresse et il n'a pas voix au chapitre ? Pourquoi le mettre sur la photo, alors ? Juste pour faire genre ? Une bagnole débile qui a attendu peinardement pendant quarante minutes a forcément des choses à dire et le chien, lui, est prié de la fermer, il n'existe même pas : voilà ce que dit cette pub.

Vous allez à présent surement me demander ce qui me prend. Quelle mouche m'a piqué ? Pourquoi je m'énerve à propos d'un chien qui ne m'a rien demandé, que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam ?

Il me prend que je viens de lire un article : « Bêtes et hommes : la fin de l'exception humaine ? » Thème : « La frontière entre l'homme et l'animal est de plus en plus énigmatique et ténue. »

On y lit ce genre de phrases : « L'animal est doté d'une certaine conscience de soi qui, dans la philosophie, depuis Descartes, passe pour le propre de l'homme... » Le « Je pense donc je suis » ne serait donc pas l'apanage de l'homme. Conclusion : le chien de la joggeuse, dans la pub, pense. Si ça se trouve. Et la pub ne nous dit pas ce qu'il pense. Alors qu'une bagnole, je vous le demande, est-ce que ça pense ?

Or, mesdames et messieurs, au moment même où je regardais cette pub, après m'être souvenu de cet article lu récemment et alors que je consultais un site animalier sur mon ordinateur (car l'homme que je suis peut faire ces trois opérations presque en même temps, c'est ce qui le distingue - tout de même - de l'animal ), je suis tombé sur une question d'un internaute : « Une question me travaille depuis longtemps au sujet des chats : pensez-vous qu'ils existent (au sens où Heidegger l'entend, capables de se concevoir comme étant...) ? Si vous avez une intime conviction, je serais heureux de la connaître. »

?????

Comme si Heidegger et moi on avait fait du footing en forêt de Fontainebleau. Mais la question m'intéressait pour au moins deux raisons.

Premièrement : j'ai un chat et je puis vous certifier que j'ai l'intime conviction qu'il existe, au sens griffurien du terme. Deuxièmement : quant à savoir s'il est capable de se concevoir comme étant, je confesse n'avoir jamais eu de conversation approfondie sur ce thème avec lui. Mais l'article suscité me donne l'occasion de le vérifier, grâce au « fameux test de la patte sur le front et du miroir ». De quoi s'agit-il ? Ecoute bien, Heidegger : « Si un animal, confronté à son image, se touche la tête et non le miroir, c'est qu'il a compris qu'il existait  en tant qu'individu, qu'il avait donc une conscience. Or ce test, que passent avec succès les primates, est validé aussi par d'autres espèces, comme les éléphants »...

Et les chats alors ?

Eh bien, figurez-vous qu'il arrivait à mon chat de se regarder dans la glace, surtout avant. Il faut vous précisez que mon chat est une chatte, Midzi, âgée de vingt ans.

Donc, elle passait devant la glace et soudain s'arrêtait, surprise de voir un chat noir et blanc comme elle. Elle s'asseyait, regardait à droite, à gauche, en haut, en bas. Visiblement, elle se demandait ce que pouvait bien faire ce chat en face d'elle. Un chat qui, en plus, faisait tout exactement comme elle. Elle se levait, faisait le tour du placard, essayait de voir ce qu'il y avait derrière. Puis elle revenait devant la glace. Le chat était bien entendu toujours là. Alors, elle devenait folle furieuse, miaulait, crachait, donnait un coup de patte. Puis déguerpissait à toute berzingue. A aucun moment, elle n'a eu la présence d'esprit de se toucher la tête (ce qui pourtant n'est pas compliqué).

Qu'en conclure, sinon que mon chat (ma chatte) est nul au fameux test du miroir ? En revanche, au test de la télé, petite, elle était très performante. Parfois, elle venait voir le 20 heures avec moi. La plupart du temps, elle se foutait complètement de ce qui se passait. Et puis, soudain, un truc l'attirait. Elle se levait, se postait devant le poste, les oreilles dressées. Et elle regardait, intensément. Elle inclinait légèrement la tête à droite, puis à gauche. Intriguée, passionnée, captivée. Par quoi ? Mystère et boule de gomme. Jamais par les même images, en tout cas. Par autre chose, sûrement. Qu'elle était la seule à voir.

Eh, patate, tu pourrais pas m'expliquer ce que tu voyais, ce que tu comprenais ? J'existe pas, peut-être ?

CL