La Bande-annonce

Les bandes-annonces.

 

Voulez-vous la preuve décisive, irréfutable, accablante de la scandaleuse partialité des média ? Ne bougez pas, je vais vous la donner. Je pourrais vous parler des récentes élections régionales mais j’ai beaucoup mieux. Il y a déjà quelques temps, je me souviens, Saint-Etienne avait battu le PSG 2 à 0 (c’est du foot). Une magnifique victoire, nette et sans bavure. Or, qu’avions-nous entendu, à la radio, à la télé, qu’avions-nous lu dans les journaux ? Des cris, des pleurs et des lamentations : encore raté pour le PSG, vraiment dommage pour le PSG, rien ne va plus au PSG, mauvaise passe au PSG, etc… Tout sur le pauvre petit PSG. Rien sur Saint-Etienne. Autant dire que pour les médias seul compte le sort du PSG. Qu’il se soit fait battre était devenu une catastrophe nationale. Mais que Saint-Etienne ait gagné (et de quelle façon !), tout le monde s’en foutait. Or, mesdames, messieurs, je vous le demande, qu’elle est l’information la plus objective : « Saint-Etienne bat le PSG » ou bien « Le PSG encore battu » ? Mais les médias n’en ont que pour Paris et son équipe à la ramasse, soutenue pas ses tarés de supporters à la noix. Saint-Etienne, c’est où ? Ils font du foot, à Saint-Etienne ? Heureusement que je suis là pour dénoncer l’ignominieux parti pris par les médias à la solde du grand capital.

Bon. J’arrête de dire du mal des médias. En vérité, les médias sont très utiles. Grâce à eux, on sait enfin ce qu’il y a de meilleurs pour nous. On a eu, les meilleurs lycées, les meilleurs prépas, les meilleurs hôpitaux, les meilleures maternités, les meilleures destinations de vacances, les meilleurs dirigeants… On n’aura vraiment plus aucune excuse si on n’est pas les meilleurs. Ou alors c’est qu’on le fait exprès. J’attends avec intérêt, les meilleurs garagistes, les meilleurs bars, les meilleurs coins de pêche… Mais aussi (il faut penser à tout) les meilleurs cimetières. Comme ça, on sera paré pour tout.

Parlons plutôt des bandes-annonces. Une bande-annonce est censée nous montrer les meilleurs moments d’un film dans le minimum de temps. Pour nous appâter, nous donner envie, nous faire saliver. J’adore les bandes-annonces, presque autant que le film que l’on doit voir juste après. Le film, une fois qu’on l’a vu, on sait ce qu’on en pense. Enfin, plus ou moins. On a plutôt aimé, ou plutôt détesté. Ou plutôt ni l’un ni l’autre. Une bande-annonce, c’est du virtuel, de la promesse. C’est comme la première rencontre avec une femme : tout est ouvert, tout est encore possible. Juste quelques images. Et débrouille-toi avec ça. A toi de te faite ton cinéma. Vous avez des bandes-annonces qui vous horripilent ou vous font hurler de rire tellement elles sont ridicules. Vous vous dites : ce film-là, je n’irai certainement pas le voir, tu peux toujours courir. Or si ça se trouve le film est vachement bien. Ça s’est vu. En tout cas, à moi, ça m’est arrivé. Un copain qui me dit : au fait, t’as vu « Miracle en Auvergne » (cherchez pas, ça existe pas) ? T’es fou ou quoi, je lui réponds, t’as vu la bande-annonce ? La bande-annonce, d’accord ; il me dit. Mais le film, lui, est absolument épatant ! A l ‘inverse, vous voyez une bande-annonce pleine d’humour, de finesse, d’intelligence. Vous vous précipitez pour voir le film dès qu’il sort. Une daube ! En fait, tout ce qu’il y a de bien est dans la bande-annonce. Le reste est nul. Soit trente secondes sur quatre-vingt-dix minutes. Ça ne fait pas beaucoup. Mais le pire, c’est quand la bande-annonce tue elle-même le suspense. Quand elle donne la chute, le dénouement. En trois images, vous avez compris que ce sera un happy end. Les amoureux brouillés à mort vont se réconcilier. La petite fille retrouvera son papa chéri. Ou alors, tout au contraire, vous voyez le héros se faire descendre, trois balle dans le buffet, raide mort. Ça ne vaut même plus le coup de voir le film. Remboursez !

Il faut dire que c’est un peu mission impossible, une bande-annonce. Ramener un film entier à quelques images, c’est limite débile. On peut aussi dire que, vu la contrainte, c’est tout un art. Etre basique, mais pas trop. Subtil, mais pas trop. En dire assez, mais pas trop. Créer du désir. De la frustration. Mais aussi du plaisir. Surtout qu’une bande-annonce passe au milieu d’autres bandes-annonces. Qui, toutes, veulent décrocher la timbale. Que la meilleure gagne ! La preuve de l’importance de la bande-annonce, c’est ce dialogue qu’on entend si souvent : t’as vu « Miracle en Auvergne » (cherchez pas, ça n’existe toujours pas), non, mais j’ai vu la bande-annonce. Preuve qu’on l’a quasiment vu, Miracle en Auvergne. Qu’on en sait suffisamment pour en discuter. Avec, sur celui qui l’a vu, cet incomparable avantage : on n’a pas eu le temps d’être déjà déçu.

C’est comme les émissions politiques à la télé, quand les candidats viennent vanter leur programme, leurs idées, leur personne. Vous allez me dire que deux heures au lieu de quelques secondes, ce n’est pas exactement la même chose. Mais si ! Quelques secondes pour un film de deux heures, c’est pareil que deux heures pour un mandat régionale. A la télé, les candidats essayent de nous donner envie de voir le film dans son entier. Ils nous appâtent. Ils nous font rêver. Et nous, on est comme avec les bandes-annonces. Si l’émission est raté, est-ce que ça veut dire que le film sera raté ? Si elle est réussie, est-ce que le film sera réussi ? Pas facile de prendre les paris. La télé, c’est de l’émotion, de la séduction, du suspense. Cinq ans de réalité, c’est une autre paire de manches. T’as vu le quinquennat ? Et pourtant, j’avais vu l’émission…

J’ai gardé le meilleur pour la fin. La question de fond : la vie est-elle une bande-annonce ? Et si oui, de quoi ?

Je ramasse les copies dans une heure et demie.

LC