Le Grand Charles

Le Grand Charles

Hier soir, un documentaire sur l’avènement de la cinquième République m’a rappelé mon adolescence. Puis de fil en anguille au Gaullisme et ce qu’il en restait…

Dépêchez-vous, il n’en restera bientôt plus rien. Notre jeune président s’est mis dans la tête de vider les grenier de la République. Il veut faire de la place et débarrasser le plancher de toutes nos vieilleries : meubles anciens, bijoux de grand-mère, uniformes de tonton… Tout doit partir au brocanteur, on solde. Attachez vos ceintures, la grande braderie a commencé.

Vous n’avez quand même pas oublié, il s’appelait de Gaulle.

Les adorateurs disaient « le Grand Charles », les insolents « la Grande Zohra ». On l’avait surnommé aussi « l’homme qui dit non ». Quand, à l’évidence, il n’y avait plus rien à faire et qu’il fallait s’incliner, une espèce d’énergumène se levait et, de sa voix haut perchée, prononçait un refus insensé. La France finissait sur le podium.

En ces temps déraisonnables, l’histoire n’était pas, comme on dit aujourd’hui finie. Le monde s’était brisé en deux camps, les peuples prolétaires et les impérialistes. Après avoir, non sans tourments, rendu l’Algérie aux Algériens, les colonies aux colonisés, de Gaulle extirpa notre pays du camp impérialiste et éleva la France au rang de porte-drapeau des peuples prolétaires. Cela n’allait pas de soi. Pays riche et industrialisé, la France avait sa place toute désignée parmi les puissances moyennes d’occident, juste au-dessous des Etats-Unis. Au-dessous de qui ? L’idée d’une France subordonnée à qui que ce soit donnait à de Gaulle des boutons. Doté de l’arme nucléaire et chanté par Brigitte Bardot, il élabora la théorie du Pr Harley Davidson : je n’ai besoin de personne. Contre l’Amérique, il dénonce la guerre du Vietnam, expulse l’Otan de Paris, se rebelle contre l’hégémonie du dollar, censure Israël qu’il prive de nos armements, se range dans le camp arabe, flirte avec les bolcheviks de Moscou : tout pour enquiquiner Washington. Sa grande idée ? La France doit être non la dernière parmi les grandes, mais la première à la tête des petits, des sans-grade. Mon verre est petit, mais c’est le mien. De Mexico à Bobo-Dioulasso on se prosternait devant le képi de notre Général. En occident, c’était « le Grand Emmerdeur ». Versailles renaissait de ses cendres, la France flottait quelque part du côté du XVIIe siècle.

Pour nous (ceux que les moins de 50 ans ne peuvent connaître) jeunesse en herbe de cet âge révolu, la gloire naphtalinée ne faisait pas l’unanimité, mais en règle générale l’ambiance nous allait comme un gant. Nous roulions à l’anti-impérialisme et ne laissions pas de ressentir pour cette vieille ganache une admiration secrète et notre fierté. Ce mec, c’était un homme.

Mais voilà venu aujourd’hui le temps des avocats. Suffit de faire les malins, et voyons la réalité en face. Mesurés à L’Amérique, au Japon, à la Chine, même à l’Allemagne, qu’est-ce que nous pesons ? Peanuts. Vaut-il mieux copiner avec les Yéménites ou les New-Yorkais ? faut pas Rêver, la France, ce n’est rien plus que la France, un cap de continent près de sombrer dans l’océan. Au reste, nous avons failli, nous sommes « en faillite ». En quelle langue faut-il le dire ? Nous ne valons plus rien que nos dettes et nos déficits. Lui nous avait hissés aux cimes de sa grandeur, ceux-là nous ravalent à l’humilité de leur petitesse.

 

LC