Le Peuple ne demande pourtant pas la Lune.

Le Peuple ne demande pourtant pas la Lune.

 

Mais qu’est-ce qu’il lui faudrait, finalement ? Qu’est-ce qu’il demande, à la fin des fins ? Ecartons la Lune : personne ne demande la Lune, excepté peut-être les américains. Pas même « l’inaccessible étoile » chantée par Jacques Brel. Il veut de l’accessible. Du possible. Mais pas non plus du deuxième choix, des trucs en promo au-delà de la date de péremption. Parce qu’il ne faut pas non plus le prendre pour du deuxième choix, tout juste bon pour les miettes, les rogatons. Ce qu’il ne veut plus c’est cette façon de dire « ce sera toujours assez bon pour lui ». Il y a un slogan qui le dit bien, dans les manifs, un slogan à l’ancienne, un peu gros sabots, qui dit : « De cette société-là, on n’en veut plus ! ». Non, il n’en veut plus, le Peuple. Le mépris, l’injustice, les combines au sommet, l’entre-soi derrière les hauts murs, les privilèges, l’impunité, toujours pour les mêmes. Et pour les autres, pour « le Peuple » : petits salaires, petits logements, petits boulots, petites pensions. Petites vies. Oui, voilà ce qu’on entend, dans les manifs. Et dans les conversations, partout, à la ville, à la campagne, au Nord, au Sud, à l’Est, à l’Ouest, partout : on n’en veut plus. On n’en peut plus. On vit tout de même une drôle de période, ces temps-ci. L’exaspération, l’énervement, les plombs qui sautent.

On nous dit : La France est la risée de l’étranger ! Partout ailleurs, les réformes passe comme une lettre à la poste. La France, cinquième puissance économique de la planète, passe son temps à grogner, à renâcler, à traîner les pieds. Bref, à contester. Alors qu’il y a tellement de pays qui aimeraient être à notre place, avoir notre niveau de vie, mais qui n’en ont pas les moyens et qui ne la ramènent pas, eux. La France, ses grèves, ses manifestations, ses banderoles, ses slogans, ses blocages… Jamais contents, les Français. Capables de tout, même de mettre leur propre économie en péril, juste pour faire les malins, pour ne pas faire comme les autres. Oui, voilà ce qu’on nous dit. Mais comment ne pas entendre cet énervement, cette exaspération qui monte de tout le pays ? Les autres pays, on y est pas (je ne parle pas de moi, bien entendu). Mais entre nous, on serait surpris que tout le monde y soit rhââ lovely devant la crise, les coupes sombres dans les services publics, le serrage de ceinture, le gel des salaires, l’explosion du chômage, la retraite à 150 ans. Alors on est peut-être spéciaux, en France. Mais ce qu’on a de spécialement spécial, c’est un pouvoir à ce point doué pour susciter l’énervement, l’exaspération. Ils ont tout de même un sacré talent, le Président, le gouvernement, les rois de la finance et des affaires, pour énerver, pour exaspérer le Peuple, non ? Et puis, franchement, est-ce que c’est mal élevé de demander une vie décente, d’être entendu, écouté, respecté ? Il n’a pas raison, le Peuple, de vouloir moins d’injustice, d’inégalité, de manque de respect ? Les autres pays font ce qu’ils veulent, il ne va pas les critiquer. Mais lui, en France, il n’a pas raison de s’énerver contre un pouvoir qui passe son temps à l’énerver ? A monter les uns contre les autres, juste pour l’énerver encore un peu plus ? Un pouvoir énervé qui perd la boule récolte ce qu’il sème. Et puis c’est tout.

Ce qu’on voit, ces temps-ci, ça n’a rien à voir avec le désir de révolution, ni même la révolte ni quoi que ce soit de ce genre. « Grève générale », dans les manifs, ça fait du bien à ceux qui le crient, mais ce n’est pas là qu’on en est, en France. Personne n’est prêt pour une grève générale. C’est juste qu’il en a marre (le Peuple), de ce pouvoir-là. Et de la façon dont il est traiter. Regardez : sa grande affaire aujourd’hui, c’est le remaniement ! Le grand feuilleton du remaniement, avec bande-annonce six mois à l’avance, et sortie dans les salles toujours repoussée, mais toujours annoncée comme imminente. Comme si c’était ça son souci au Peuple, à moi aussi du reste. Comme si on n’avait que ça en tête. Comme si la France entière était suspendue au remaniement, combines, intrigues, faveurs, disgrâces, jeu de bonneteau et compagnie. Voilà ce que ce pouvoir a à lui proposer, pour le rassembler, le mobiliser : la pantalonnade du remaniement ! Pendant ce temps-là, il s’assoit sur tout ce qui pourrait le rassembler et le mobiliser : les principes fondamentaux de notre vivre ensemble, liberté, égalité, fraternité. Mais oui, concrètement, dans la vie concrète du Peuple. L’école, le logement, les cités, l’exclusion, la précarité, les ghettos, la misère, les humiliations, la France coupée en deux, en trois, en dix.

Que veut-il exactement, le Peuple ? Oh, pas grand chose. Comme dit Paul Eluard : « Ce n’est pas vrai qu’il faut de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et puis rien d’autre. » Ce qu’il veut, c’est juste le droit au bonheur. Certes, ce n’est pas au pouvoir de s’occuper de le rendre heureux. Mais ce qu’il se dit (le Peuple), c’est qu’il pourrait peut-être s’occuper davantage de son droit au bonheur que de son bonheur à lui. Non, il ne demande pas la Lune. Mais ce qu’il ne supporte plus, c’est que sa vie concrète, et son droit au bonheur dans sa vie concrète, ne soit que le tiers du quart des soucis d’un pouvoir entièrement occupé à se maintenir, à se préserver, à se consolider, à s’étendre. Si tout ce temps, toute cette énergie étaient consacrés à la vie concrète de millions de gens qui rêvent d’un peu de bonheur, il serait (le Peuple) moins énervé. Et puis voilà.

 

LC