Le temps...

 

Le temps…

Pendant mes vacances (oui, et alors ! Un retraité a tout de même le droit de prendre des vacances, non, mais !) j’ai repensé à une anecdote qui m’est arrivée au cours de vacances justement.

Ma montre était tombée en panne. Avec l’esprit de déduction qui me caractérise, je me suis dit : c’est la pile. Je suis donc allé chez un horloger le plus proche et je lui ai dit : ma montre est tombée en panne, ça doit être la pile. Eh bien on va la changer, m’a répondu l’horloger, pas contrariant pour un sou. Il a ouvert ma montre, il a enlevé la pile et il a mis une belle pile toute neuve. Aussitôt, ma trotteuse s’est remise à trotter. On l’a regardée trotter, émus tous les deux de voir le temps reprendre son cours. J’ai remis ma montre à mon poignet, prêt à reprendre ma place dans le vaste mouvement d’horlogerie qui gouverne le monde. Dès le lendemain, hélas, j’ai déchanté : ma montre était de nouveau en panne, la trotteuse irrémédiablement immobile… Comme quoi, finalement, mon esprit de déduction n’était peut-être pas si performant que ça. Je suis donc retourné chez l’horloger. C’est pas la pile, je lui ai dit d’emblée. Elle est retombée en panne. Ah, il a fait. Puis il a regardé ma montre. Si c’est pas la pile, il a fini par dire, ça doit être la poussière. Regardez : on voit plein de trucs pas nets, sous le verre. A mon avis, c’est de la poussière, qui encrasse tous les mécanismes. Va falloir la démonter et le nettoyer de fond en comble. Compter cinq jours.

Cinq jours sans montre ! Cinq jours sans savoir quelle heure il est au moment où je veux savoir quelle heure il est ! Mais je n’avais pas le choix. J’ai dit à l’horloger : d’accord, démontez et nettoyez. Avec un petit pincement au cœur, je l’ai vu mettre ma montre dans un sachet en plastique, direction le labo de démontage et de nettoyage. Adieu, ma montre ! En sortant du magasin, j’ai eu comme un vertige. Désormais, j’allais vivre en apesanteur, déconnecté de la marche du temps. Ô temps, reprends ton vol !

Le premier jour sans montre, c’est à mon poignet que ça c’est passé : de ne pas sentir le cuir du bracelet et le froid du métal, je me suis senti tout nu. Toutes ces dizaines d’années avec une montre au poignet, et puis soudain plus rien… J’ai eu une sensation de vide, de froid, comme si mon bras était désarmé, sans défense, sans force.

Le deuxième jour, à ma grande surprise, j’ai ressenti exactement l’inverse : une incroyable impression de liberté. Plus rien autour du poignet, plus rien pour enserrer, contraindre, compresser. Un poignet libre, un poignet tout neuf, comme du temps de l’enfance, avant ma toute première montre à ma communion solennelle. Quand on courait les chemins, les champs, la forêt, sans aucun souci de l’heure, sans jamais se demander si on était en retard ou en avance, sur quoi, grands dieux ? De toute façon, il est vrai que nous avions du « monde » pour nous le rappeler, surtout en cas de retard…

De la même façon, alors que le premier jour je cherchais constamment à savoir l’heure, en regardant les horloges ou en demandant autour de moi, comme si je n’allais pas arriver à vivre si je ne savais pas s’il était 14h52 ou 15h08, le deuxième jour, je me suis dit : mais enfin, je suis en vacances ! Qu’est-ce que ça peut me faire, de ne pas savoir l’heure ? Le temps coule, le temps glisse, le temps dure, je n’ai qu’à me laisser porter, emporter, de toute façon il va quelque part, je n’ai qu’à me laisser aller.

Le troisième jour sans montre, je me suis de nouveau occupé du temps. Mais pas le même temps : celui de la météo. Et à cette époque, c’était pluie, vent et froid : marre, marre et re-marre. Et déjà à cette époque au printemps, ils nous avait annoncé une canicule d’enfer ! Ailleurs, peut-être. Mais j’étais en Bretagne, en plein mois d’août, avec mon pull et je peux vous certifier que je ne l’ai pas vue passer la canicule. Ou alors elle était drôlement bien déguisée. Pensez, j’étais chez un ami qui un jour a même été obligé de remettre du chauffage. Oui, en août. Un pur scandale. J’aime autant vous dire que si ça se reproduit une année, elle va m’entendre la Bretagne. Non, mais, je ne suis pas masochiste. Evidemment, on va encore dire que je dénigre l’image de la Bretagne. Comme quand on parle des algues vertes. Ecoutez, c’est pas de parler du temps pourri et des algues vertes qui fait du tort à la Bretagne, c’est le temps pourri et les algues pourries, point barre…

Bon, où j’en étais, avec tout ça ? Ah oui, au cinquième jour.

Le cinquième jour, je suis allé récupérer ma montre. L’horloger l’a sortie de son sac en plastique et il m’a dit, tout fier : regardez comme elle est propre ! Elle l’était. Et non seulement elle était propre, mais elle était à l’heure. La trotteuse trottait gaiement vers un avenir radieux. Je l’ai remise à mon poignet, avec, déjà, la nostalgie des jours sans montre, sans souci des heures, des minutes et des secondes. De toute façon, aujourd’hui, je la regarde moins souvent. J’essaie d’être libre, de retrouver les sensation de l’enfance, au milieu des herbes, des arbres et de la nature. Et la vie. Et l’amour. Et la poussière, qui encombre les montres et recouvre les souvenirs. Pensez-y, si vous avez une montre et vous ne la regarderez plus jamais de la même façon…. Surtout pendant les vacances !

 

LC