Les bras levés en guise de salut. Départ à la retraite.

Les bras levés en guise de salut. Départ à la retraite.

Vient le jour où c'est le jour ! Tu verras : c'est un jour comme les autres, ni plus beau ni plus gris. Et cependant si différent, radicalement, sans être son contraire pour celui qui le vit du moins, quant aux autres ils verront... Il est, comment dirait-on, aboutissement plutôt que continuité, un point d'arrivée qu'on voudrait de départ. Bien sûr, on y a souvent pensé et souvent autant évité d'y penser, mais sans cesse il refluait mécaniquement, malgré soi malgré lui. Chaque jour davantage. Cela n'a rien changé. Car cela n'évite rien de le refuser ou de le souhaiter.

 Un matin comme les autres, et pourtant si dissemblable il est donc là. Il n'y a pas à s'agiter. Il s'impose mine de rien, sans trop forcer, feignant d'ignorer qui il est vraiment. Il est pourtant celui-là. Qu'on le redoute ou qu'on l'espère, qu'on y croit ou non, tel au ciel après tout et auquel après tout il prépare, il est venu. Il vient. Pas la peine de l'attendre, même sans le guetter il arrive ; « à point nommé » disent certains, « sans crier gare » répondent les autres. Qu'importe ! Pour tout le monde il se pointe avec des manières de « allez pousse-toi de là, c'est mon tour ! » Jouant des coudes, porteur d'un masque, il te demande en souriant : « es-tu prêt ? on part. » Lui seul sait où. Il te saisit à bras le corps. Et la peur t'envahit. Mais tu parviens à dégagez un bras, puis les deux. Dans un instant, tu t'en serviras. Tu verras...

Ce matin-là, la pluie peut bien briller par son absence, le soleil peut bien tomber de chaleur, il resplendit et tirant un trait sur ton existence devient subitement ton horizon. Il te bouche la ligne et t'en bouche un coin, là où ça fait le plus mal dans un coin de la tête, de la pauvre tête qui ne comprend plus rien et qui comprend de moins en moins ce qui survient. La veille encore pourtant tout était normal. La vie se déroulait comme avant, comme avant quand c'était déjà pareil qu'avant.

Hier soir, à la maison, comme toujours on a rangé les habits, sur le bord de la chaise, bien droits, bien repassés, pour se préparer machinalement quand sonnera le réveil. Puis quand sonne le réveil machinalement, on saute du lit comme jamais, on se vêt prestement. La routine est rodée depuis le temps. Le café brûle, il faudra changer de marque. Où ai-je donc mis mes souliers ? Tiens, le chat est sorti. Je sors ! On va être en retard... Mais aujourd'hui, il y a comme un grain de sable dans le sablier. Les minutes s'égrènent comme des heures, les secondes reviennent sur leur pas. La terre ne tourne plus rond et tremble sous les pieds. On se souvient que ce matin est le dernier où l'on se rend au travail, et ce dernier où l'on s'y rend prend des allures de dernier où l'on se rend.

Tu verras, que les bras t'en tombent ! On se surprend même à s'y rendre les bras en l'air comme pour mieux faire un geste de la main à ses amis, à ses camarades, à ses collègues, et aussi à ses « ceux dont on se fout d'ordinaire ». Tu sais, ce geste de la main qu'on fait par-dessus l'épaule à l'adresse de celui qu'on laisse derrière soi en espérant secrètement qu'il te suive des yeux tandis qu'on disparaît. Malhabile on prend la pose, on la garde un peu. On voudrait tellement que ces bras levés fassent le V de la victoire, mais on n'est pas sûr d'avoir à ce point gagné. Alors, on laisse ses bras levés et on se convainc qu'à défaut, avant de s'en aller, les bras levés peuvent servir d'au revoir et de merci.

Oui, c'est le mieux : donner le change puisqu'il n'y a rien d'autre à dire. Tu vois ! Il n'y a déjà plus rien d'autre à faire que de tourner le dos comme on tourne la page, comme on referme un livre, comme de refermer une porte, sans bruit et de marcher déjà au loin vers l'angle de la rue d'en bas. Tu verras, vient ce jour unique semblable aux autres jours et si autre.

Tu verras, viendras ce jour où tu ne me verras plus !

CL