Mon existence est une marqueterie, mais à chacun de composer la sienne...

Mon existence est une marqueterie, mais à chacun de composer la sienne...

Il est là ! Venu de nulle part, à dix mètres à peine de moi. Enfin c’est ce qu’il me semble mais, dans le même temps, je ne vois rien autour de lui, ni arbre, ni maison. Il est là et me regarde. Impossible de distinguer les traits de son visage mais, j’en suis certain, c’est bien lui. Debout, très droit, vêtu de blanc, si éclatant et lumineux qu’il semble irréel. J’esquisse un pas vers lui, le bras tendu, le cœur gonflé d’espoir et là, l’image se dissout en une infinité de grains lumineux envahissant l’espace.

J’ouvre les yeux, tout est calme et sombre. Il fait nuit et je suis couché. Un coup d’œil au réveil : quatre heures passées. Ici, dans ce pays qui est devenu le mien, les rêves qui surviennent à ce moment de la nuit sont appelés visions. C’est l’espace de temps réservé à ceux qui sont partis pour communiquer avec ceux qui sont restés ici-bas. J’ai très envie d’y croire. Un sentiment de paix et de sérénité m’envahit. Mon cœur sourit dans l’obscurité. Je ferme les yeux et me rendors.

Poussière de lumière ! C’était vraiment cela. Ne dit-on pas que la lumière, du moins celle que nous sommes capables de voir naturellement, est composée d’une multitude de particules en mouvement qui peuvent se décomposer en vibrations colorées ? Cette atmosphère lumineuse qui nous enveloppe, invisible la plupart du temps, nous fait parfois l’honneur de signaler sa présence en déployant de somptueux arcs-en-ciel dans les nuées de fin d’orages.

J’aime à penser que notre vie est, comme cette magie de la nature, composée de variations de couleurs qui participent à sa réalisation.

Certains moments sont si sombres, si douloureux, qu’ils nous laissent épuisés, au bord de l’abîme. Ce sont ceux qui se situent dans la zone la plus sombre du spectre, tirant vers l’indigo et le violet. À nous de les déposer avec précaution dans les tiroirs de notre mémoire. Ils sont lourds et fragiles à la fois. La moindre secousse peut les briser et nous anéantir. Viendra le temps où nous pourrons aller les chercher car ils auront leur place dans le tableau de notre vie. Font partie de ces instants les maux, inhérents à la nature humaine, qui jalonnent chaque parcours : maladie, perte d’un être cher, survie au quotidien parmi les rivalités, la haine, la jalousie, etc. De nos jours, il nous faut en plus, absorber aussi les nouvelles du monde et de la planète, que les médias déversent quotidiennement sur les ondes sans précaution aucune. Nous nous retrouvons submergés par des images de violence et agressions, inondations et sécheresse, catastrophes naturelles, guerres, etc. Leur gestion devient problématique pour des individus de plus en plus fragilisés.

Heureusement, des éclairs lumineux et scintillants nous côtoient et nous insufflent une énergie inépuisable. Eux aussi doivent être entreposés avec soin car c’est en eux que nous trouverons la force de traverser les étapes les plus difficiles de notre voyage. Nous les appelons : amour et amitié, tendresse et fierté, merveilles que la nature nous offre chaque jour, etc. Tout est là, autour de nous, à portée de main. Mais il est de plus en plus difficile de leur faire une place à travers le brouillard de morosité ambiante qui tend à se généraliser.

Et enfin, éparpillés parmi les précédents, arrivent des souffles si légers et transparents que souvent, par négligence, nous les laissons s’envoler et se perdre dans les méandres qui nous entourent. Pourtant, ils sont indispensables car ils serviront, soit à alléger et aérer les parties trop pesantes, soit à nuancer l’excès de brillance qui déséquilibrerait l’ensemble. Ils nous frôlent au quotidien : sourire d’un inconnu dans la rue, trilles d’un oiseau saluant notre passage sous l’arbre où il est perché, odeurs de pain chaud et de croissants s’échappant de la boulangerie au petit matin, etc. Ils sont multitude.

Que faire de ces millions d’images et de facettes entreposées dans nos cœurs et nos esprits ? Les laisser en désordre prendre la poussière ? Essayer de leur trouver la meilleure place possible dans le panorama de notre vie ?

Comme l’artiste devant son œuvre inachevée, le découragement peut parfois nous envahir. Certains jours, aucune inspiration, aucune envie de vivre ne nous habitent. Il faut pourtant rester aux aguets car une étincelle peut surgir à tout moment pour illuminer l’ensemble. Patiemment, il nous faut chercher et placer ces éclats sur la toile de fond qu’est notre vie, en essayant d’en faire une composition vivante et colorée. Le ciment qui maintiendra tout cela en équilibre est l’instinct de vie, ou plus exactement, de survie.

Au terme du voyage, nous n’aurons sans doute pas eu le temps de terminer notre mosaïque mais, nous aurons peut-être réussi à composer une fresque dans laquelle toutes les teintes du spectre solaire seront harmonieusement entremêlées. Alors, quand le moment viendra, nous pouvons espérer que toutes ces ondes lumineuses s’uniront et se transformeront en une seule, si intense, qu’elle se dissoudra en poussière de lumière.

Le rêve du début de mes propos est une réalité vécue il y a environ cinq ans. L’homme qui y est apparu m’a été enlevé en un éclair il y a déjà quelques années. C’est lui qui m’a appris à ne pas avoir peur de mes idées, même des plus extravagantes. C’est pourquoi je suis convaincu que, cette nuit-là, il est venu me faire savoir que je ne devais plus m’inquiéter pour lui et que je pouvais poursuivre ma route, sans crainte. Il est devenu poussière de lumière et j’aimerais aussi le devenir un jour.

 

LC