Pardon Nafissatou !

Pardon Nafissatou !

Tout ce que je sais d’elle, à l’heure où je décide d’écrire cet article, c’est qu’elle s’appelle Nafissatou. Je sais aussi qu’elle a 32 ans et qu’elle est mère célibataire d’une petite fille de 9 ans. Je sais aussi qu’elle vit dans un trois pièces du Bronx où elle a emménagé voilà quelques mois, qu’elle travaille comme femme de ménage au Sofitel de Times Square depuis trois ans. Et qu’elle est d’origine guinéenne. Tous les médias répètent en boucle ce que dit d’elle le patron du Sofitel : « Elle donne entière satisfaction, en ce qui concerne tant son travail que son comportement. » Telles sont les deux ou trois choses que je sais d’elle. Ah, si, encore ceci, glané sur internet : elle serait très grande (plus de 1,80 m). Et les avocats de DSK (vous avez remarqué, il n’est même pas nécessaire d’écrire le nom entier pour savoir de qui je parle) se sont dits surpris de la trouver « très peu séduisante ».. Façon peut-être de suggérer, que leur client (DSK) ne peut avoir été attiré par elle. Et s’être rendu coupable de ce dont il est accusé. Mais moi, c’est d’elle que j’ai envie de parler. Elle, Nafissatou.

Tout le monde, partout, ne parle que de Dominique Strauss-Kahn, (Dominique pour les intimes, surtout de Gauche.) Tous les journaux, tous les magazines, font leur une sur DSK. Toutes les radios, toutes les télévisions, consacrent des éditions spéciales à DSK. Tous les hommes politiques, tous les intellectuels, tous les experts qui interviennent sur « l’affaire Dominique Strauss-Kahn », parlent de Dominique Strauss-Kahn. Grandeur et décadence. Le drame. La tragédie. La chute. La descente aux enfers. Sa psychologie. Ses qualités et ses défauts. Comment il a été humilié par la police et la justice new-yorkaise. Les menottes. Les photos. Livré aux chiens. Et, bien entendu, cette formule répétée comme un mantra, matin, midi et soir : « présumé innocent ». Oui, DSK est présumé innocent. Je ne l’oublie pas. Mais Nafissatou, elle, elle est présumée quoi ? Je vous le demande. Elle est présumée victime. Elle est présumée avoir subi une agression sexuelle et une tentative de viol par le présumé innocent Dominique Strauss-Kahn. Et c’est de lui que tout le monde parle. C’est lui que viennent défendre ses amis, à la radio, à la télévision, avec des trémolos d’indignation dans la voix. Sans un seul mot pour la présumée victime. Sans un seul mot pour Nafissatou. Le sujet, ce n’est pas Nafissatou. Ce qui mobilise les plus grandes plumes, les plus grandes voix, c’est DSK. Ce n’est pas la présumée victime. Après tout, Nafissatou n’est qu’une femme de ménage. Une immigrée. Une mère célibataire qui vit dans le Bronx. Et qui n’est, comble du comble, que « très peu séduisante ». Alors que Dominique Strauss-Kahn, lui, est tout de même ancien ministre, directeur générale du FMI, parti pour être le prochain président de la république française. Ce qui lui arrive n’est-il pas incroyable, invraisemblable, inimaginable ?

Oui, ça l’est. Et ce qui arrive à Nafissatou, c’est quoi ? Qui se préoccupe de ce qui arrive à Nafissatou ? Qui se préoccupe de ce qui l’attend, au tribunal, quand il lui faudra témoigner contre l’un des hommes les plus puissants de la planète, défendu par les plus puissants avocats des Etats-Unis ? Qui se préoccupe du calvaire qui l’attend, quand il lui faudra raconter, par le détail, ce qu’elle affirme avoir subi ? Quand elle devra répondre aux questions insistantes, insidieuses, des avocats de DSK, cherchant à la déstabiliser, à la décrédibiliser, à la faire se contredire ? Qui se préoccupe de ce qu’est devenue sa vie, à la présumée victime, après avoir été (si elle l’a été) sexuellement agressée par le présumé innocent ? Oui, j’aimerais parler de Nafissatou. De sa vie d’immigrée. De sa fille de 9 ans. Du pays d’où elle vient. Pourquoi et comment elle en est partie. Quels étaient ses rêves, ses espoirs. Comment elle a été accueillie, comment elle s’est débrouillée. Nafissatou, femme de ménage au Sofitel de Times Square, en plein cœur de New York. Nafissatou qui donne entière satisfaction en tout, comme dit son patron. Nafissatou qui fait son travail, qui vient faire le ménage dans la chambre 2806, le samedi 14 mai, à 12 heures. Et qui, affirme-t-elle, s’est fait sexuellement agresser par l’occupant des lieux.

La presse, la radio et la télévision s’inquiètent de ce qui se passe au FMI. Intrigues, jeux de pouvoir, négociations de couloir, pour savoir qui va remplacer « Dominique ». Et de ce qui se passe au PS. Intrigues, jeux de pouvoir, négociations de couloir pour savoir qui va remplacer « Dominique ». Et, certes, c’est important, de savoir qui va devenir directeur général du FMI. Et qui a les meilleures chances de faire gagner la gauche en 2012.

Mais qui parle de ce qui se passe dans la tête de Nafissatou, dans le corps de Nafissatou ? ça n’intéresse personne. Ce n’est pas important.

Ce que j’aimerais en réalité, c’est lui demander pardon, à Nafissatou. Pardon pour tous ceux qui l’oublient. Pour tous ceux qui ne pensent qu’au sort de « Dominique », au destin de « Dominique », à l’avenir de « Dominique ». Et qui n’ont pas une pensée pour elle. Je sais ‘vous allez me le rappeler) : il est présumé innocent. Elle est présumée victime.

A l’inverse des politico-médiatico-amis de DSK, moi, je préfère parler pour la présumée victime.

LC