Si ma Tante en….

Si ma Tante en….

Qui ne connaît pas cette réplique et force est de reconnaître que souvent nous employons ce « si » si pratique dans certains cas… Imaginez un instant des sites internet sous l’occupation. Par chance, ces trucs-là ont été inventés bien après. On ne saurait dire cependant que les nazis et les hommes de Vichy bricolaient. La poste était efficace, la police faisait son boulot, avec le renfort des miliciens et des doriotistes. Les émissions de radio de Philippe Henriot et le journal de Robert Brasillach, « je suis partout », veillaient au grain et dénonçaient, non sans quelques exagération, le manque de zèle des fonctionnaires. Il y avait aussi quelques amateurs, comme Henry Coston, qui s’affairaient à constituer un fichier de juifs. Il poursuivit d’ailleurs sont œuvre bien après la libération, léguant sont travail à un frapadingue qui, à l’heure de la Toile, fait toujours circuler des listes de juifs influents et malfaisants. Et pour ne pas être en reste d’autres listes circulent sur les homosexuels, les terroristes, les pédophiles, etc…

Mais franchement ça ne provoque aucune frayeur parce qu’il se trouve, simplement, que l’époque du Web n’est pas celle de l’occupation.

On peut même retourner le propos de manière optimiste. Hitler aurait-il pu envahir l’Europe, à grand renfort d’attaques-surprises et de Blitzkrieg, s’il avait suffi de quelques mails pour éventer ses projets ? Aucun secret ne tient, désormais. Celui qui entourait le plus monstrueux des crimes risquait fort d’être éventé avant le départ du premier convoi. On peut toujours refaire l’histoire en mélangeant les époques. Le cinéma y a songé. Le porte-avions Nimitz fut ainsi victime, en 1980, d’un orage magnétique qui le ramena le 7 décembre 1941, au moment précis où les bombardiers japonais fonçaient sur Pearl Harbor. Délice de l’anachronisme, du choc des époques. Mais, sans Kirk Douglas et Katharina Ross, on ne s’y laissera pas prendre. Dommage, si les Américains avaient disposé en 1941 d’un porte-avions du type Nimitz, avec des chasseurs à réaction, ils n’auraient pas eu besoin d’envoyer des centaines de milliers de pauvres gars dans les atolls du Pacifique.

Avec des si, l’histoire réserve de belles surprises. Si le maréchal Grouchy avait disposé d’un téléphone portable et si Napoléon avait installé un système radar, aucune gare de Londres ne se nommerait Waterloo. Inversement, si Blücher avait commandé des panzers appuyés par des vols de stukas, le général Cambronne n’aurait guère eu le temps de laisser ce mot si éloquent (M…. ), pour la postérité.

On a toujours fantasmé sur les petits riens qu’il suffirait de changer pour que l’histoire bifurque dans un sens ou dans l’autre. Comme par exemple le nez de Cléopâtre. Aujourd’hui, toute femme disposant d’un peu de fortune a le pouvoir de se faire le nez de la reine d’Egypte. Le fantastique pouvoir de transformation et la submersion des digues qui protégeaient l’intimité comme les secrets d’Etat nous fascinent, au point de rendre naturelle la projection dans l’histoire. Nous ne pouvons vivre cette époque sans la comparer. On invite les périodes noires à table, quand on discute d’affaires somme toutes anodines. A croire que la Seconde Guerre mondiale nous manque. Toutes celles qui ont suivi se sont avérées décevantes, insipides. La délation a encore connu de beaux jours, dans le monde totalitaire et dans l’autre, au moment où il se proclamait libre et se défendait par le maccarthysme.

Mais quand une loi, un acte politique ou n’importe quel gadget de la modernité nous angoisse, c’est l’Occupation qui revient. Pourrions-nous seulement nous inquiéter du présent, voire de l’avenir, si tout cela n’avait pas existé, si toute nouveauté ne devait passer sous les fourches Caudines du passé ? Oh ! pardon pour les fourches Caudines. C’est encore un anachronisme.

 

LC