Une précision historico-étymologique sur la fraise Tagada.

 

La question est donc des plus simples : d'où vient ce nom de fraise "tagada" ? Car si je ne vous ferai pas l'injure de m'attarder sur l'emploi du mot "fraise", vous avouerez que cette onomatopée équestre (tagada-tagada...) est inattendue pour cette petite gâterie (d'autant qu'elle ne porte ce nom qu'en France).

En 1967, l'entreprise allemande rachète une entreprise familiale marseillaise, la réglisserie de Lorette, qui devient Haribo France. Haribo peut dorénavant inonder la France de ses confiseries. Et cela tombe bien, car deux ans plus tard, à Bonn, on invente la fameuse fraise. Mais les commerciaux français l'affirment : en France, il faut un nom français à cette gâterie. Facile. Le septuagénaire directeur de la production du groupe (qui n'est plus Hans Riegel) est particulièrement francophile. Car celui que dans l'entreprise on appelle pudiquement un "bon vivant" est venu régulièrement "améliorer son français" à Paris pendant les années folles...

Le Paris des années vingt, c'est le french cancan, le "jazz", le Moulin Rouge, la "Revue nègre" de Joséphine Baker au théâtre des Champs-Elysées, les représentations de Mistinguett aux Folies Bergère , les "garçonnes" qui fréquentent le bar-dancing "Le boeuf sur le toit".

Mais notre allemand en villégiature a pris goût à un Paris bien plus libertin mais non moins réputé : des bars interlopes, des claques* et des cabarets douteux, du côté de Pigalle, de la place Blanche et de Montmartre, aussi assidûment visités par notre rhénan que par la brigade mondaine. Tous ces lieux sont des nids de prostitution. Notre homme a ses habitudes dans un petit cabaret de la rue Berthe, au pied du Sacré-Coeur, où il vient s'offrir les faveurs tarifées de nombreuses demoiselles, sous l'oeil indulgent du taulier. Le minuscule boxon* s'appelle "La petite chaumière", mais le tout-Paris désigne le clandé* en usant du surnom évocateur de son tenancier souteneur, M'sieur "Tagada" (sic).

Quelques décennies plus tard, on imagine le directeur allemand suggérant avec délectation le nom du chabanais* pour désigner la fraise Haribo, cette petite gâterie synonyme de... plaisir coupable. Il est donc plutôt piquant d'imaginer aujourd'hui que le bonbon préféré de millions d'enfants porte le nom d'un lupanar* parisien ! A rougir de plaisir, non ?

(l'honnêteté intellectuelle m'impose de préciser que si l'histoire officieuse a retenu cette origine, un autre cabaret, un établissement créole du 15e arrondissement, porta également ce nom à Paris pendant l'année 1930, à l'issue de l'exposition universelle.)

* nombreux synonymes de "maisons closes" : un claque (puisqu'on y claque de l'argent), un boxon (de l'anglais boxon, les box, des compartiments isolés dans les tavernes, et par extension un lieu à petits salons privés), un clandé (clandestin), un chabanais (la plus célèbre maison close de l'époque, rue Chabanais, par métonymie), un lupanar (du latin lupanar, on ne parle pas du plus vieux métier du monde pour rien).

LC