Y en a marre des cons et des bien-pensants..

Y en a marre des cons et des bien-pensants..


Va-t-en, Louis-Ferdinand ! La République a choisi : l'ignoble sera au dessus du grand, pour l'éternité. Il ne faut pas célébrer le génie, parce qu'il est parfois antisémite. Oui, Céline l'était, et pas qu'un peu. Il était même trop antisémite pour les nazis, qui le trouvaient caricatural, presque embarrassant. C'est dire. Ce ne sont pourtant pas les génies du sémitisme qu'il était question de célébrer, mais les génies de la création littéraire. Certains ont pourtant décidé de mêler la mémoire à l'objectivité du jugement, ce qui permet par exemple à Serge Klarsfeld de qualifier Céline de "bourde".

N'est-il rien d'autre que cela ? Il faut croire. Le plus grand écrivain du XXe siècle, mort il y a cinquante ans, a été retiré du calendrier des célébrations nationales 2011. "Il n'est pas possible de célébrer Céline", a expliqué Frédéric Mitterrand qui a, avant de prendre sa décision, relu Bagatelle pour un massacre. Dommage, car quiconque lira Voyage au bout de la nuit ou Mort à crédit ne pourra se contenter de brûler Céline. Le Ministre de la Culture semble vouloir "non sous le coup de l'émotion" donner tort à celui qui écrivait : "Au commencement était l'émotion". Marquera-t-elle également sa fin, son autodafé officiel ? Pour certains, c'est décidé : il faut laver l'Histoire de France, expurger sa littérature, blanchir les biographies. Ne nous arrêtons pas à Céline.

Et Voltaire ? "Vous ne trouverez en eux (les Juifs) qu’un peuple ignorant et barbare, qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice aux plus détestables superstition et haine pour tous les peuples qui les tolèrent et qui les enrichissent. Il ne faut pourtant pas les brûler". Qu'attend-t-on pour débaptiser Ferney-Voltaire, les rues françaises et les lycées à son nom ? Et Rousseau ? "Je ne suis persuadé que nous ne connaissons d'hommes que les Européens". Que font encore les écrits de ce sinistre personnage dans les librairies ? Et Montesquieu ? "Partout où il y a de l’argent, il y a des juifs", voilà ce que disait cet infâme défenseur du droit du sang, qui pensait que Dieu ne pouvait avoir mis une âme dans un corps "tout noir" (C'est certain, il aurait voté Marine Le Pen).

Et Hugo ? "Marche, autre juif errant ! Marche vers l'or qu'on voit Luire à travers les doigts de tes mains mal fermées !" Voilà ce qu'il écrivait dans Les chants du crépuscule. Oui madame, Victor Hugo le sordide, celui là même qui affirmait que "l'Afrique n'a pas d'Histoire". Combien d'écrivains, combien d'académiciens, combien de coupables ? Faut-il les retirer séance tenante des programmes scolaires, au profit d'écrivains perfectly corrects et consensuels, qui ne heurteront jamais aucune sensibilité, comme Marc Levy, Musso ou je ne sais quel double-cheese culturel ?

"j'irais LOLer sur sa tombe"

Serge Klarsfeld, en incarnant à lui tout seul une polémique qui fait céder le ministre en un temps record, ne rend service à personne, en tout cas pas à ceux qu'il prétend défendre. Au lieu de penser au-delà de la mode, de découvrir, de réfléchir, de célébrer, on va commémorer, se faire peur en pensant à la haine, sans oser se pencher sur le génie. On va commémorer une énième fois la haine de l'autre, qui mène où l'on sait, où l'on ne manquera pas de nous le rappeler. Pourquoi ne pas faire de cet anniversaire une journée dédiée à la mémoire des victimes de la seconde guerre mondiale, avec minute de silence et drapeaux en berne ?

Comme l'écrivit Muray, le docteur Destouches était à la fois un génie et un antisémite. Quelle part doit-on retenir ? Que doit-on célébrer ? Qu'est-ce qui mérite une célébration ? Faut-il choisir ? Couper Céline en deux ? Il est évident que c'est le génie qui nous intéresse, nous fascine et nous absorbe, mais en quoi le génie serait-il propre, garanti sans OGM, élevé en plein air, militant pour la répartition des richesses, encarté au Parti socialiste ? Le génie a-t-il un contrat d'exclusivité avec l'Empire du Bien ? "Si on se laissait aller à aimer les gens gentils, la vie serait atroce", écrivait encore Céline, sans imaginer à quel point notre époque pourrait lui donner raison. Ainsi que le hurlait Fabrice Luchini il y a encore quelques semaines sur les planches du théâtre de l'Atelier, Céline était peut-être un ignoble antisémite mais il était surtout un authentique génie. Depuis quand doit-on choisir ? Notre époque, qui prétend n'avoir ni préjugé ni a priori, condamne un art sous prétexte que son artiste de père pensait ceci ou disait cela. Face au génie, qui aura la prétention de déterminer si ce dernier est politiquement correct ou non ? Alors que le jugement de valeur était le plus profond de tous les jugements, voilà que seul l'ad hominem a droit de vie ou de mort sur les œuvres. Cette fouille à corps des génies témoigne-t-elle de la fameuse ouverture d'esprit dont se targue tant notre époque ?

Jugeons les hommes, leur part ténébreuse, surtout pas leur art. Oubliées, les éventuelles "grandes œuvres qui réveillent notre génie", toujours les mots de Céline. Place à la police intemporelle des dérapages. L'Inquisition se contentait du présent ? Le progrès retournera dans le passé pour juger les cadavres. Citons aussi Philippe Muray, dans Après l'Histoire : "Homo festivus est en effet cet individu très spécial qui exige les roses sans épines, le génie sans la cruauté, le soleil sans les coups de soleil, le marxisme mais sans dogmatisme, les tigres sans leurs griffes et la vie sans la mort". Depuis toujours, nous célébrions le génie malgré ses quelques désagréments. Nous célébrons maintenant le désagrément malgré ses quelques génies.

"La Joconde est peut-être superbe, mais comme De Vinci était un courtisan de François Ier, roi de France tyrannique, belliciste et misogyne, il paraît déplacé de la célébrer".

C'est déjà ce que l'on fait, c'est même un sport national. Les chevaliers ? Des Don Quichotte. Les héros de guerre ? Ils n'en sont pas morts. Les Résistants ? Des opportunistes. Qu'il est aisé pour le bouffon d'aujourd'hui, entre ses nuits blanches et ses happenings, de railler et de mépriser ceux qui ont mis un jour "leur peau sur la table", comme disait Céline pour qui la "grande inspiratrice" était la mort, côtoyée au quotidien. Autour du bouffon en trottinette, il ne doit plus y avoir que la vie et le bien. La mort et le mal sont interdits.

Ridiculiser, souiller nos grandeurs, notre époque citoyenne adore ça. Louis XIV ? Le massacre du Palatinat. Voltaire ? L'esclavage. Jeanne d'Arc ? Le Front national. "Renversons les statues, déchirons les légendes", écrivait Max Gallo dans Fier d'être français, en regrettant que la France n'ose plus célébrer Austerlitz tout en envoyant une délégation pour fêter Trafalgar avec la Perfide Albion. La fierté et la grandeur, c'est très vilain. La France doit s'abaisser, se prosterner, s'humilier. Pas question de faire le moindre défilé du 14 juillet sans inviter des délégations étrangères pour le "symbole". Pas question de célébrer on ne sait quel événement historique sans rappeler que les "musulmans en étaient". Pas question de se réjouir de quoi que ce soit sans se recueillir longuement sur ses fautes et ses péchés. Pas question de faire un cours d'Histoire sans "sensibiliser" gravement les écoliers aux "dérives" et aux "travers" passés. La République a remplacé la culpabilité religieuse originelle par la culpabilité historique.

"Céline antisémite ? Elle a chanté quoi depuis Titanic ?"

Comment sortir ce pays de sa trouille de lui-même s'il ne regarde pas en face son histoire et ses génies ? À diaboliser le passé, on diabolise le présent et l'avenir. Quel génie se hissera sur nos épaules courbées ? Qui pourra construire quoi que ce soit avec de telles œillères ?

"De l'œuvre d'art comme de l'individu, seule une autre œuvre d'art peut parler avec pertinence. Aujourd'hui, au grand écrivain on préfère le livre idiot écrit sur lui", écrivait Nicolas Gomez Davila.

C'est pire : on ne retient désormais que le "dérapage" dénoncé par le premier avocat venu, pour l'occasion ministère public de l'histoire censurée et sympathique. Quelle est désormais la proportion de gens dans la rue qui vous diront "Céline, l'antisémite ?" Plutôt que "Céline, le génie ?" Sans oublier bien sûr l'immense majorité qui ferait mieux de rester silencieuse : "Céline, elle a chanté quoi depuis Titanic ?"

"L'antisémitisme noir de l'écrivain ne correspond pas aux valeurs de la République", écrit le JDD. Très bien, alors la République a du pain sur la planche, parce qu'en cherchant un peu, il se trouve que la grande majorité de nos sommités intellectuelles n'affichaient pas du tout les mêmes valeurs que celles de la République du Fumer tue, des flashmobs et des cellules psychologiques… Si la République pouvait prétendre à une valeur, ce serait assurément celle qui consiste à honorer tous ses génies, sans distinction anachronique. Demander à des fonctionnaires de sélectionner soigneusement les rares hérauts dont on autoriserait l'hagiographie le partage à la stupidité et au terrorisme intellectuel. "Une biographie, ça s'invente", disait Céline, qui aura décidément raison devant l'Éternel.

Personne ne semble se demander s'il est pertinent ou non de chercher à établir une liste de fréquentabilité historique républicaine, surtout si cette dernière est établie à l'aune des connaissances et de l'objectivité de monsieur Klarsfeld. Heureusement pour la plupart des auteurs, la culture progressiste n'ira que rarement jusqu'à eux. Céline, c'est une valeur sûre de l'indignation : tout le monde (même Paul Amar) sait que c'est une ordure dont on ne saurait admirer la plume. Qu'on se rassure, la France, qui épure toujours, est venue à bout des dernières rues Philippe Pétain du pays : elle viendra à bout de Céline. L'histoire est repoussée, encore, au profit de la mémoire. N'avons-nous pas encore compris ? Pour combien de temps encore doit-on confier notre libre-arbitre au Ministère de la culture ?

Après les lois exigeant des historiens qu'ils pensent ce qu'on leur demande de penser et qu'ils cherchent là où on leur dit de chercher, ne faut-il pas mettre en place une police de nettoyage de l'Histoire et de la littérature, pour y supprimer tout ce qui n'est pas parfaitement progressiste ? En cherchant bien, chez Zola, chez Balzac ou chez Flaubert, on trouvera forcément des traces de misogynie, d'homophobie, d'antisémitisme… Et que dire de Nietzsche et de ses textes épouvantablement dangereux s’ils ne sont pas accompagnés d'une "mise en garde pédagogique et citoyenne", comme celle que l'on veut imposer à Tintin au Congo.

On n'en finit plus de donner des coups de pied au cadavre de l'esprit critique. Nos enfants nous jugeront ? Il faudrait d'abord leur enseigner le jugement.

Les génies sont censés être des exemples pour les jeunes générations, un peu comme Zizou ou Jamel. Ils ont donc intérêt à anticiper l'ensemble des valeurs de la République progressiste pour se trouver en adéquation avec cette dernière, car un jour viendra où des milliers de petits procureurs de l'histoire reviendront traquer dans les moindres recoins de leur biographie l'inévitable "dérapage", la petite phrase au bout de laquelle on pourra enfin les faire pendre. Toute ressemblance avec Fouquier-Tinville et son obsession de l'égalisation est purement fortuite. La seule chose que l'on veut rendre éternelle et anachronique n'est plus le génie, c'est le dérapage. L'Histoire n'a tout de même pas pu être ce qu'elle a été, sans que nous n'ayons été là, nous autres vigilants citoyens, pour la soumettre à tous nos salvateurs principes.

Retirera-t-on un jour Victor Hugo du Panthéon parce qu'il ne mangeait pas cinq fruits et légumes par jour ? Faut-il déboulonner les statues de Baudelaire parce qu'il ne lâchait pas de ballons pour les otages français ? Faut-il cesser de célébrer Lully parce qu'il ne reversait pas ses bénéfices à des associations caritatives ? Et que dire de Molière, qui n'a jamais pris clairement position pour la répartition des richesses ?

Laissons le mot de la fin a celui qu'il ne faut plus célébrer : "Sachez avoir tort. Le monde est rempli de gens qui ont raison. C'est pour cela qu'il écœure".

 

LC